Léon Wuidar, Autoportrait

Suite de dix dessins où sont associés dix chiffres et dix lettres
Edition : Editions Bruno Robbe & Daniel Dutrieux (LRS52)

L’œuvre de Léon Wuidar est alimentée par une méditation plasticienne sur le visible et le lisible. L’artiste a toujours été inspiré par les caractères de l’écriture et les chiffres et a composé de nombreux abécédaires associant librement lettre et image : L comme Lambrequin, Q comme Queue d’aronde, etc.

Dans le cas d’Autoportrait il s’agit de l’association des dix lettres constituant son nom et son prénom de L à R associés aux dix chiffres de 1 à 0.
Passant d’un fond blanc pour L & 1 au fond noir pour R & 0, l’évolution du blanc au presque noir est réalisée au moyen de fines hachures passant de la ligne unique verticale au plus serré des hachurages à l’horizontal. L’ensemble évoquant le passage du début de l’existence à son déclin, de la lumière à la pénombre.

Autoportrait de Léon Wuidar est présenté sous boitier noir au format 310 X 220 X 150 MM, comprenant en fac-similé un tapuscrit de l’auteur intitulé Note concernant la suite des dix dessins où sont associés dix chiffres et dix lettres datant de mars1984. Ce texte a été publié dans le numéro 3 de la revue Art&Fact. (cfr. ci-après)
Réalisé et imprimé en lithographie sur les presses de l’Atelier Bruno Robbe à Frameries, sur vélin de Rives 270 g. Le tirage est limité à 40 exemplaires numérotés et signés par l’artiste.

Note concernant la suite de dix dessins ou sont associés dix chiffres et dix lettres

Le tracé

Après des années de réflexions, j’en suis arrivé à la décision de tracer mes dessins d’une façon neutre, mécanique et entièrement contrôlée. En fait ce contrôle a évolué insensiblement au fur et à mesure de la maîtrise acquise. Le trait est mécanique : il s’agit d’un tracé qui fonctionnerait comme une succession de petits tirets dont les extrémités se superposent. Le trait est systématique : partout pareil sur un même dessin. La qualité du papier, la fluidité de l’encre, la fatigue de la plume – celle du dessinateur – peuvent créer d’imperceptibles différences. Cependant, plus le trait se rapproche d’un tracé mécanique et plus il s’en éloigne ; une simple comparaison entre le tracé à l’encre d’un ordinateur via une pointe traçante et celui obtenu à force de contrôler la main me fera toujours préférer ce dernier. L’exécution d’une extrême lenteur, parfois pénible, vaut bien cette petite différence.

Rejet de la figuration

Ayant délibérément renoncé à reproduire la réalité pour des raisons extrêmement diverses, le problème était de savoir de quoi ces dessins seraient faits. La réalité copiée aura toujours quelque chose de plat ; un pied néo-classique n’apporte pas grand chose au sentiment qui se dégage du serment des Horaces. L ‘expressionnisme a un caractère outrancier, outrance qui sera peut-être le premier élément de l’académisme du vingtième siècle. Le surréalisme n’a pas beaucoup de liens avec la peinture ; sa récupération via l’illustration, l’affiche et l’étalage, ainsi que l’emploi abusif du terme, ne prêche pas en se faveur. Laissons ce qui touche au fantastique au troupeau peu pensant des niais. En regard de cette puérile figuration, l’art de l’Islam, avec son refus de l’image, est plus qu’attirant, mais ce monde n’est pas notre monde occidental.

Vers la simplification

A la vitesse d’exécution de certains artistes contemporains, j’allais opposer la plus grande lenteur. De formes serpentantes et mobiles, j’allais faire une sorte de cobra pétrifié, limité par un tracé rectangulaire figé par des surfaces remplies de lignes parallèles. Ces compositions de sel, définitivement immobiles, n’étaient pas vraiment satisfaisantes. L’ordonnance des tracés allait être complétée par l’ordonnance des éléments. Tout se raidit, ce qui était serpent devient tube ou tuyau. Et tout s’organise en dispositions aussi savantes que complexes, d’une surcharge parfois extrême. Comme l’informel jugé insatisfaisant, le complexe subit le même rejet ; Une organisation plus élémentaire commençait à prendre place dans une forme souvent carrée, choisie pour sa neutralité et sa simplicité. Cette réduction extrême allait donner un nouveau type d’organisation.

Principe d’organisation

L’avantage des carrés, c’est de pouvoir les associer en un plus grand carré formé de 4, 9, 16, 25, etc. plus petits. Un motif, inscrit dans le carré supérieur gauche, choisi comme le lieu de départ de notre écriture sur une feuille blanche, peut être répété dans le deuxième carré, mais pour éviter toute répétition monotone et même pour créer une composition non prévisible dans son aspect, ce motif subit un mouvement de translation et de rotation. Arrivé à l’extrémité du premier alignement de carrés, le motif au lieu de revenir comme l’écriture à gauche sous l’endroit de départ, suit l’ensemble des carrés extérieurs formant le début de ce qui va devenir une spirale orthogonale. Le dernier motif occupant le carré central.

L’idée d’une suite

Si la grille carrée est un élément statique, le motif qui subit rotations et translations donne une organisation dynamique contrastant avec la structure quadrillée. Ainsi s’opposent le prévu et l’imprévu. De ce type de travail s’est dégagé peu à peu l’idée de début et de fin. Donc de finitude au centre de la spirale ; à l’opposé de l’idée de l’infini quand la spirale se développe d’un lieu central vers l’extérieur. Donc de naissance et de mort. Donc de la représentation, de la trace d’une chose vivante. Cette idée s’est aussi développée dans des suites de dessins. Une modification par rapport au dessin précédent permettant de prévoir la modification suivante. Le premier dessin d’une série étant vide, le dernier sera plein ; les dessins intermédiaires illustrant ce remplissage.

Entre le commencement et la fin

C’est par associations d’idées que le carré blanc a été un moment donné comparé à 0. Le carré noir à 9. Ces deux carrés, comme d’autres carrés intermédiaires, tous divisés en neuf petits carrés dont un ou plusieurs noircis (hachurés) ont été comparés à 1 ou 2, 3, 4, etc. C’est aussi par association d’idées que le hachurage, absent d’une surface, a été opposé à une surface entièrement hachurée de lignes tracées à l’encre de manière serrée qu’elles sont sur le point de se toucher. Les hachurages intermédiaires allant du plus large écartement – une hachure – au plus serré, suivant une multiplication élaborée par un système strict, comme par exemple la série de croissance de Fibonacci. Mais le sens du hachurage intervient aussi, allant de la première ligne verticale aux multiples lignes horizontales créant une surface presque noire.
Le travail le plus élaboré, formé d’une suite de dix dessins, a été réalisé à partir des lettres de mon nom qui a comme caractéristique exceptionnelle d’être formé de dix lettres différentes. La suite de dessins présente l’évolution des éléments suivants :
1) Lettres : de L à R,
2) Chiffres : de 1 à 0
3) Fond : du blanc au (presque) noir,
4) Hachures : de la ligne unique au plus serré des hachurages,
5) Direction : de la verticale à l’horizontale.
On pourrait rapprocher cette suite de dessins d’une vieille gravure traditionnelle représentant les âges de la vie, de la naissance à la mort, disposés autour d’un escalier qui monte et puis descend. La vie serait symbolisée par la blancheur (ou clarté) et la verticale. La mort et le néant par la noirceur (ou l’obscurité) et l’horizontale – sens du gisant. Les directions intermédiaires des hachures assurant le passage d’une situation à une autre. Le rayonnement évoquant la disposition en éventail de l’escalier de la gravure traditionnelle. Quant aux lettres du nom qui apparaissent les unes après les autres, elles seraient comme l’inscription du message ultime du mourant qui trace péniblement un mot ou une suite de lettres (parfois incomplète mais suffisante) pour que la compréhension du tracé soit à quelque moment perçue. Traçant ce qui devait être tracé à l’instant ultime de la défaillance. Le message étant tracé, l’existence du traceur devenant inutile.

Léon Wuidar – mars 1984.