Philippe De Gobert

Archives Photographiques, 1967-2000

Du 3 au 30 avril 2022.
Vernissage le dimanche 3 avril de 11h à 13h.

« Le problème n’est pas qu’on se souvient grâce aux photographies, mais qu’on ne se souvient que des photographies ».

Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgeois, 2003.

Fut un temps, à l’entrée du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, les visiteurs étaient accueillis dans le vaste espace du hall Horta par un curieux dispositif : une armoire intégrait un projecteur Kodak, chargé d’un carrousel à diapositives, qui donnait à voir en rétroprojection des images en couleurs des expositions et activités en cours. Cette machine optique à fonction de médiation, pour si anecdotique qu’elle puisse paraître, était comme le signe discret, marginal et mineur, de l’importance de plus en plus accrue que la photographie avait commencé et allait continuer à jouer dans le contexte discursif de l’exposition. C’est Philippe De Gobert(Bruxelles, 1946) qui avait charge de la réalisation des diapositives. Se succédant à intervalles réguliers dans le carrousel, le spectateur se trouvait comme déjà « guidé » par le regard du photographe, sans le savoir. 

Philippe De Gobert est un artiste avant tout, connu depuis les années 1970 pour ses réalisations de modèles réduits, de microcosmes peints et sculptés avec un luxe de détails, représentant entre autres, sur le mode de la réinterprétation, des intérieurs d’ateliers fictifs ou d’artistes célèbres, fabriqués à partir d’images pour servir à leur tour de décors à des séries photographiques. 

Dès cette période, il mène alors en parallèle un autre travail, considéré au départ comme alimentaire et où s’articulent et se construisent deux regards sur l’espace temporaire des expositions, qu’on pourrait appeler le « point de vie » et le « point de vue ». Les images que l’on voit de cette période sont pour beaucoup des enregistrements uniques de gestes, d’opérations, d’installations, d’expositions en cours. Elles sont les témoins d’une façon de se situer devant l’exposition, une position où s’articule une multiplicité de désirs de voir, de montrer, d’habiter, de s’exposer : celui du photographe, de l’artiste, des regardeurs et de l’institution. Mais en plus de convoquer ces points de vue hétérogènes, ces images sont des feuilletages de vécus multiples, de la durée d’un clin d’œil ou d’un cadrage. Un tissage de points, portant la promesse du souvenir, quand bien même on aurait oublié les contours à la fois humains et techniques de la situation de leur événement. 

Après avoir rencontré Marcel Broodthaers en 1967 et accompagné photographiquement certains de ses gestes, Philippe De Gobert commence dès 1974, à prendre des images des expositions de cette institution, dont la politique était alors renouvelée sous l’impulsion de Karel Geirlandt et de la présence d’Yves Gevaert et de Michel Baudson. Il est sollicité par des galeries essentielles pour l’époque, notamment à Bruxelles – la Galerie D, MTL, Wide White Space, plus tard Micheline Szwajcer et Albert Baronian – ainsi que par les collectionneurs Herman Daledet, à Gand, Annick et Anton Herbert. Mais il travaille aussi auprès d’artistes comme Jan Vercruysse, Bernd Lohaus ou Marthe Wéry, pour qui il réalise tant des images spécifiques, liées à un projet de l’artiste, que des instants de leurs « sentiers de la création ». 

Il documente ainsi un nombre conséquent d’expositions constituant un fonds d’archives unique en Belgique, s’inscrivant dans le développement depuis les années 1960 de la photographie d’exposition, dont témoignent d’autres archives de l’époque, celles entre autres de Balthasar Burckhardt, Harry Shunk, Ugo Mulas ou encore Paolo Mussat Sartor. 

La sélection qui est faite ici a pourtant un statut particulier. L’intention initiale de Philippe De Gobert était de prélever dans ses archives un ensemble d’images où la focale serre davantage son propre regard. Ce que nous voyons aux murs est autant une somme de traces, disposant pour chacune d’une valeur individuelle, qu’un remontage général au présent d’un travail engagé depuis maintenant longtemps et que Philippe De Gobert continue à développer. Cette exposition est un peu comme son propre carrousel Kodak, où de gauche à droite, dans la continuité des murs où s’accrochent les images, il nous invite à suivre ses « points de vie » saisis en « points de vue ». 

Michela Sacchetto & Raphaël Pirenne